Ce texte est paru sur le site du WARC. Pour consulter la version originale (en anglais), cliquez ici.
Métavers :
Un mot techno qui court sur toutes les lèvres, mais qui disparaîtra avant même que vous ayez compris de quoi il s’agissait? Ou peut-être l’avatar sans jambes de Mark Zuckerberg qui gravite dans l’espace intersidéral? Et s’il s’agissait plutôt d’une nouvelle réalité où les humains quittent le monde physique pour vivre dans un univers numérique rempli d’expériences immersives?
Oublions les hypothèses un et deux – je peux vous prouver que la première est fausse, et la seconde, avouons-le, est une image franchement terrifiante à laquelle personne ne devrait être exposé.
Terminez votre recherche Google, je vous attends.
Bon. Alors. Le terme métavers est apparu au début des années 1990 dans le roman de science-fiction de Neal Stephenson, Le Samouraï virtuel. Depuis, on l’a vu dans des films comme La Matrice et des romans tels que Player One. Et depuis peu, il s’est solidement ancré dans l’usage, avec une multitude d’articles, de vidéos et de reportages portant sur notre futur dans le métavers.
Les premiers pas que j’ai moi-même faits dans ce nouveau monde ont été bien plus modestes. Quand mon fils s’est mis aux jeux vidéo il y a quelques années, tous les jeunes de son âge n’en avaient que pour Fortnite. Pour les non-initiés, Fortnite est un jeu en ligne où des personnes du monde entier se battent sur une île virtuelle. Lorsque vous jouez pour la première fois, un avatar générique vous est attribué. Grâce aux V-Bucks, la monnaie virtuelle du jeu, vous pouvez acheter des accessoires pour votre avatar : des vêtements (skins), des mouvements de danse (emotes) et des outils (pickaxes).
À mesure que le jeu s’est développé, le monde virtuel a évolué. Des espaces ont été créés au sein du jeu pour permettre aux joueurs et joueuses de se retrouver. Des événements spéciaux en direct ont été organisés pour les adeptes, qui ont rapidement eu droit à des concerts virtuels d’artistes, comme Ariana Grande et Travis Scott – lequel a attiré en direct un auditoire de quelque 30 millions de personnes.
Sous mes yeux, mon fils était entré dans l’univers naissant du métavers. Disons plutôt DES métavers, puisqu’il était aussi un joueur avide de Roblox.
Roblox, comme Fortnite, est basé sur des avatars et une monnaie virtuelle (Robux) qui permet aux joueurs et joueuses d’acheter toutes sortes de personnalisations pour leurs personnages.
Ce n’est pas une coïncidence si ces deux exemples sont des jeux. Le chroniqueur technique du New York Times Kevin Roose a décrit les jeux vidéo comme la « voie d’accès du métavers ». Et même si ces deux jeux nous paraissent aujourd’hui extrêmement complexes et bien développés, ils ne sont qu’un début.
L’automne dernier, la franchise Fortnite s’est associée à Balenciaga pour lancer une gamme de vêtements virtuels de haute couture. Nike a récemment fait l’acquisition de RTFKT, un créateur de souliers de sport et d’objets de collection virtuels. Et on entend maintenant parler de transactions immobilières potentielles dans le métavers. Bien que virtuelle, Fortnite est une île. Littéralement. Alors, pourquoi ne pas aménager ses côtes pour y construire des complexes immobiliers?
Cette question en soulève une autre : comment allons-nous assurer la sûreté de tous ces biens virtuels?
Mon jeune fils a déjà été victime de fraude et de vol dans ces mondes virtuels, et très peu de recours s’offraient à nous. Dans son cas, le vol était somme toute assez mineur et ne lui a coûté qu’une partie de ses biens virtuels sur Roblox, mais l’ampleur croissante de ce type de délit à l’échelle mondiale est inquiétante. La société de cybersécurité Kaspersky a révélé que la criminalité liée aux jeux a augmenté de 50 % en 2020 – et on ne parle que des jeux. La croissance de ces nouveaux territoires virtuels multiplie les occasions pour les cybercriminels.
Servons-nous du vol de cryptomonnaies comme baromètre, car celles-ci sont appelées à devenir la monnaie courante du métavers. En 2021, les pirates numériques ont dérobé l’équivalent de 14 milliards de dollars en cryptomonnaies.
Pour l’instant, les biens liés aux jeux et les monnaies virtuelles existent de manière relativement indépendante; toutefois, à mesure que le métavers prendra de l’expansion, ceux-ci seront de plus en plus étroitement liés, ce qui multipliera les possibilités de vol.
Mais un instant… et les chaînes de blocs, dans tout ça? Ne sont-elles pas censées regrouper des morceaux de code uniques et sécurisés pour rendre tout vol quasi impossible? Oui, c’est vrai, c’est ce qu’elles font – mais devant l’ingéniosité humaine, elles ont leurs limites.
Alors qui sera là pour protéger les habitants de ce nouveau territoire sans frontières?
C’est ici qu’entrent en scène nos braves héroïnes : les compagnies d’assurance.
En matière de marketing et de publicité, le secteur des assurances n’a jamais eu peur de sortir des sentiers battus. Dans un secteur lourdement réglementé et avec des produits qui n’ont rien de séduisant, les compagnies d’assurance ont trouvé toutes sortes de moyens originaux pour se démarquer. Qu’il s’agisse du drôle de gecko anthropomorphe de GEICO, de Mayhem, le personnage délicieusement anarchique des messages publicitaires d’Allstate, ou de Flo, la vendeuse des publicités de Progressive au penchant vaguement sociopathe (dites-moi que je ne suis pas le seul à l’avoir remarqué), on peut dire – avec un peu d’ironie – que les entreprises de ce secteur n’ont pas peur du risque.
Raison de plus pour se lancer hardiment dans le métavers! Mais comment s’y prendre?
Comment un service très concret dans le monde réel peut-il se transposer dans cette nouvelle existence virtuelle?
Eh bien, commençons par le cas le plus évident : l’assurance dommages virtuelle. L’assurance dommages – ou IARD pour incendie, accidents, risques divers – est le terme utilisé dans l’industrie pour désigner l’assurance habitation et l’assurance automobile; l’assurance risques divers désigne quant à elle l’assurance responsabilité civile fournie si vous êtes responsable d’un accident causant des blessures ou la mort. Bien que l’assurance responsabilité civile puisse être une option intéressante pour un jeu comme Fortnite, nous nous concentrerons pour l’instant sur l’aspect immobilier de la question.
Une des façons de le faire, c’est d’imaginer une existence dans le métavers comme une « propriété ». Celle-ci peut comprendre la propriété virtuelle en soi ou les biens immobiliers, mais aussi tous les avoirs (habillages, vêtements, accessoires, etc.) détenus et conservés dans l’espace virtuel. À l’heure actuelle, le casier d’une personne dans Fortnite pourrait même contenir des biens d’une valeur de plusieurs milliers de dollars. Avec l’évolution des jeux – et la multiplication des expériences métaversales –, l’assurance des biens virtuels risque de devenir une nécessité plutôt qu’un luxe.
Pour faire la transition vers cette nouvelle offre virtuelle, les compagnies d’assurance pourraient envisager de modifier leurs polices existantes, notamment en ce qui concerne les biens assurés séparément. Ces biens, lorsqu’ils dépassent les limites standards des polices d’assurance, comme les bijoux ou les objets de collection, sont couverts séparément au moyen d’avenants.
La protection des biens issus du métavers fonctionnerait de manière similaire. Vous pourriez donc protéger contre le vol la nouvelle paire d’Air Jordan en édition limitée que vous venez d’acheter pour votre avatar en ajoutant ce bien virtuel à votre police d’assurance habitation courante. À condition bien sûr que vous déteniez une police en vigueur (ou que votre nom y apparaisse) – une solution qui n’est donc pas éternelle. Mais pour les compagnies d’assurance, il peut s’agir d’une excellente façon de plonger dans l’océan virtuel.
Maintenant, la question que tout le monde se pose : où peut-on se procurer une telle assurance? La plupart des compagnies d’assurance sont séparées en deux canaux distincts : le direct et celui des courtiers. La personne qui choisit la voie directe établit elle-même le devis de sa police sur le site de l’assureur, tandis que celle qui opte pour le courtier profite d’une assistance professionnelle, sur place ou à distance. Même si la souscription d’une assurance pour des biens virtuels peut aisément passer par les canaux directs, les occasions pour les courtiers sont bien plus intéressantes.
Tout le monde s’est déjà fait apostropher par de sympathiques spécialistes en assurances distribuant conseils et cadeaux de marques devant le kiosque d’une compagnie d’assurance lors d’un événement. Alors pourquoi ne reproduirait-on pas la même chose dans le métavers? Ce serait une occasion d’établir un contact direct avec une nouvelle clientèle (jeune de surcroît!) et de lui offrir des conseils utiles et personnalisés. Mais comment attirer les gens devant un kiosque virtuel? En mettant le paquet. Voilà le secret. Dans le monde réel, vous réussirez peut-être à capter l’attention de quelques personnes avec une bouteille d’eau ou une casquette; mais dans un univers virtuel, les gens se mettront en file pour des bouteilles et des casquettes en édition limitée.
Et si cela ne suffisait pas à les appâter, je ne vois pas meilleure idée que d’inviter Flo, avec son regard aussi assassin qu’impassible, pour une bataille royale dans Fortnite. Si la chaîne Wendy’s peut pénétrer le monde virtuel pour détruire des congélateurs, Flo peut bien y mettre son nez pour encourager la sécurité au volant et générer de bonnes affaires!
À l’instar de nombreux nouveaux développements dans le monde humain, il est difficile de prédire l’évolution du métavers. Certaines personnes y entrevoient un paradis utopique, d’autres un enfer dystopique. Moi, je l’imagine quelque part entre les deux. Mais quoi qu’il en soit, prendre une petite assurance serait sans doute une bonne idée.
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