Pourquoi les marques devraient-elles surveiller leur langage?

Anik Pelletier est vice-présidente de Langage de marque chez Bleublancrouge. Elle travaille dans l’industrie de la traduction depuis près de 30 ans, se spécialisant dans l’adaptation marketing, et en gestion de la conformité linguistique depuis plus de 20 ans.

Les spécialistes du marketing savent combien les marques déploient d’efforts pour gérer leur image et leur réputation. Les stratèges, les équipes créatives et les concepteurs se soucient constamment des logos, des polices, des couleurs, etc. En tant que langagière (mais très intéressée par le design), je suis toujours surprise de voir combien d’efforts on investit dans la conception visuelle, alors qu’on consacre si peu de temps à la langue, au ton de la voix et à la localisation.

Même dans un monde où notre capacité d’attention est plus courte que celle d’un poisson rouge et où les gens n’ont pas nécessairement le temps de bien lire, les mots ont leur importance. Les mots ont un sens.

La langue joue un rôle essentiel dans la réputation d’une marque. Vous ne me croyez pas? Demandez à cette brasserie de l’Alberta qui a nommé sa nouvelle bière d’après un mot maori qu’elle pensait signifier plume. En fait, le mot voulait dire poil pubien.

Ou pire, demandez à Telus. L’entreprise a dû présenter des excuses publiques après que de nombreux messages mal traduits aient été publiés sur ses réseaux sociaux. Il n’a fallu que quelques secondes pour que ces messages attirent l’attention de nos cerveaux numérisés. Il ne s’agit là que de quelques exemples où le fait de ne pas utiliser un langage approprié entraîne un échec de communication au nom d’une marque.


En faisant des recherches sur la réputation et le risque, je suis tombée sur un article du site Harvard Business Review : « Lorsque 70 à 80 % de la valeur marchande provient d’actifs incorporels difficiles à évaluer, tels le capital de marque, le capital intellectuel et le fonds de commerce, les organisations sont particulièrement vulnérables à tout ce qui porte atteinte à leur réputation. » 

La façon dont le message d’une marque est compris ou même perçu (n’oubliez pas : la perception, c’est la réalité) peut avoir des répercussions négatives sur la réputation.

C’est là que la gestion des risques entre en jeu. D’après des recherches de Dominique Bohbot, responsable de la formation professionnelle au Département de linguistique et de traduction de l’Université de Montréal, la langue fait partie de la gestion du risque, non seulement en ce qui a trait à la réputation, mais aussi aux facteurs sociaux et financiers. 

Plus que jamais, il est clair que l’utilisation de mots, de formulations ou de pronoms erronés peut avoir des effets involontaires, indésirables et durables. L’inclusion et la diversité deviennent de plus en plus des préoccupations majeures pour la société et les entreprises. Les marques doivent se rapprocher de leurs clientèles cibles, de plus en plus diversifiées, et les communications doivent être adaptées au public le plus large possible. Cela est particulièrement vrai pour les langues genrées, comme le français, où la maîtrise des nuances et de l’inclusivité exige du temps, des efforts et de solides compétences rédactionnelles.

Le risque d’impact négatif sur les résultats est bien réel si votre public ne comprend pas le message ou ne fait pas confiance à votre marque en raison de documents marketing mal rédigés. Les conclusions d’études mondiales menées par Common Sense Advisory entre 2006 et 2020 montrent qu’une grande majorité des consommateurs et consommatrices préfèrent faire des achats dans leur langue maternelle. « La localisation améliore l’expérience et augmente l’engagement dans le dialogue avec la marque. Elle devrait être une stratégie commerciale rigoureusement planifiée et exécutée pour toute entreprise qui cherche à croître à l’international », selon le Dr Don DePalma, fondateur et directeur de la stratégie chez CSA Research. En toute franchise, si les gens ne comprennent pas les communications et le marketing d’une marque, ou s’ils perçoivent un manque de qualité dans le langage utilisé pour leur parler, ils ne s’engageront tout simplement pas.

En plus de gérer ces risques, les marques doivent s’adapter à une réalité de plus en plus virtuelle. Les habitudes de consommation évoluent plus rapidement que jamais. Avec le nombre croissant d’achats en ligne et de décisions prises en fonction de la qualité, de l’accessibilité et de la fiabilité du contenu en ligne, la langue devient cruciale. Car dans ce monde numérique, les marques n’ont pas une seconde chance de faire une première impression.

En bref,  « surveiller son langage » n’est pas seulement une expression utilisée pour inciter les enfants à faire preuve de politesse. Il s’agit d’une décision stratégique judicieuse, d’un facteur d’atténuation des risques et d’une police d’assurance pour votre réputation. Ainsi, tout comme il faut se soucier de la conception stratégique et des partenariats créatifs si chers aux spécialistes du marketing, il est plus important que jamais de faire appel à des professionnel·les de la langue pour atteindre la cible. Leur connaissance des marchés et des publics cibles, et leur sensibilité linguistique transformeront une erreur de rédaction paresseuse en transmission réussie de l’essence d’une marque.