Des bras robotisés qui dessinent, comme dans un cours de tableau vivant, le visage de l’humain assis en face.
C’est l’une des œuvres créées par l’artiste belge Patrick Tresset en utilisant l’intelligence artificielle, et l’une de celles qui illustre le mieux la dualité entre la machine et l’humain. Où commence l’un et où finit l’autre? Le robot qui observe l’humain assis en face de lui est-il un artiste? Un co-créateur?


La conférence E:AI, Réinventer la créativité, réhumaniser l’IA, qui s’est déroulée à Montréal les 26 et 27 février 2025, a soulevé bien des questions passionnantes au sujet de l’intelligence artificielle. La beauté de la chose, c’est que les réponses étaient multiples.
Vers une copie de notre monde?
Pour l’artiste numérique Sandra Rodriguez, «l’IA est une matière, comme de l’argile. Ça peut être un sujet en soi ou une technologie, mais ce n’est pas un co-créateur.» Et pourtant, nous assistons à la naissance d’œuvres entièrement réalisées par IA, à l’instar de The Heist, un court métrage créé avec l’outil Veo 2 de Google. C’est le futur d’Hollywood, selon Ross Goodwin, le fondateur de la start-up Secret Level: un futur où toutes les images seront générées avec l’aide d’outils d’IA. Devrait-on avoir peur? Peut-être.
Pour David Usher (oui oui, le musicien), «le changement que représente l’intelligence artificielle est exponentiel. Pensez à l’Internet à ses débuts. C’était mauvais, rempli de mauvais sites web et de mauvaises idées. C’est exactement le stade où on en est avec l’IA. Mais ça ne peut que s’améliorer. Et dans ce contexte, la créativité humaine devient un avantage compétitif.» D’ailleurs, le chanteur devenu entrepreneur a créé une œuvre fascinante en hommage à une amie malade du cancer: c’est Lucy AI, un alter-ego numérique de son amie, nourri avec des images, des écrits et des souvenirs de la vraie Lucy. Le résultat est étonnement commun, comme un lointain écho de la femme qui l’a inspiré.
Des algorithmes qui «nous» élèvent
L’intelligence artificielle a d’autres côtés sombres. Destiny Tchéhouali, professeur au département de communication sociale et publique de l’UQAM, souligne que nous entrons dans une ère d’«algocratie», où les algorithmes déterminent quels contenus seront vus et lesquels tomberont dans l’oubli. «Sur les plateformes comme Netflix et Spotify, il y a de plus en plus d’écart entre la diversité de ce qui est proposé et la diversité de ce qui est consommé, souligne-t-il. Nos goûts culturels sont pré-fabriqués et pré-orientés. On subit la dictature du contenu le plus populaire». Les conséquences sont réelles, notamment en termes de diversité culturelle et de représentation.
L’intelligence artificielle pourrait creuser les disparités sociales et les conditions de vie, croit Tania Kontoyanni, actrice et présidente de l’Union des artistes, qui souligne qu’une poignée d’artistes seulement pourront en tirer profit. La moitié des emplois seraient d’ailleurs menacés par l’intelligence artificielle d’ici 2027. «N’oublions pas qu’il s’agit de choix collectifs», avertit Sandra Rodriguez. Ces prédictions ne sont pas des fatalités, et nous vivons dans un pays souverain. Dolly, la chèvre clonée, n’a jamais donné lieu à une armée de ruminants fabriqués en laboratoire. L’IA ne devrait pas non plus remplacer tous les comptables, codeurs et traducteurs… pourvu qu’on l’encadre.
Comment encadrer l’IA?
Des remparts contre l’IA existent déjà, comme la loi sur le droit d’auteur. Si on a utilisé une intelligence artificielle pour générer une marque de commerce, par exemple, celle-ci peut être copiée, souligne le cabinet d’avocats Lavery. Le risque d’utiliser une IA devient un pensez-y bien, dans ce contexte.
D’autres remparts devront encore être érigés et inscrits dans la loi, ont souligné plusieurs intervenants.
En attendant, l’intelligence artificielle ressemble à un vaste terrain de jeu que les créateurs peuvent explorer à leur guise. Ce n’est ni le début d’un nouvel âge des ténèbres, ni une révolution, mais un moment de transformation et d’expérimentation, croit le musicien Alex Braga. «La musique entièrement créée par l’IA n’est pas de l’art, c’est des données. Seuls ceux qui ne savent pas ce qu’est l’art peuvent la prendre pour de l’art. Car l’art vient du cœur.»
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