L’intelligence artificielle est-elle punk?

Crédit photo : Igor OmilaevUnsplash

L’IA n’est plus qu’un simple mot à la mode : c’est une technologie qui donne un nouveau visage à de nombreuses industries créatives allant du marketing aux productions culturelles. À l’heure où elle passe de l’engouement à la réalité, nos décisions reposent-elles sur une valeur à long terme ou sur des attentes démesurées?

Lors de la conférence E-AI qui s’est tenue à Montréal la semaine dernière, des spécialistes ont discuté de l’évolution du rôle de l’intelligence artificielle. Ce qu’il faut en retenir? Elle constitue une révolution potentielle, mais ses promesses actuelles sont illusoires.

IA : nouvelle punk?

L’intelligence artificielle démocratise les outils de création, rendant accessibles les productions de haute qualité. Mais la créativité ne se limite pas à la production : elle repose sur l’intention, l’authenticité et l’émotion. L’IA n’est pas artisane de sens : seuls les humains ont cette capacité. Utilisée sans précaution, elle risque d’automatiser l’inventivité pour la transformer en contenu prévisible et optimisé pour l’engagement.

Dans sa conférence « Le punk n’est pas mort… mais il a changé de visage! »,Dennis Kastrup a comparé l’IA au punk : sans barrière à la création, tout le monde peut faire de la musique. Des questions importantes se posent néanmoins :

  • La facilité d’accès diminue-t-elle le véritable sens artistique?
  • L’IA est-elle une révolution créative ou un vecteur d’homogénéisation induite par les machines?
  • Les réalisations générées par l’IA seront-elles rebelles ou de simples produits de masse?

Le punk, peu raffiné, n’en était pas moins puissant. La technologie peut jouer un rôle similaire. Exploitons-la pour renforcer les idées humaines et multiplier les moyens par lesquels nous pouvons raconter des histoires marquantes.

Le cycle d’engouement de l’IA : embarquons-nous trop rapidement?

Selon le rapport Hype Cycle de Gartner (en anglais), l’intelligence artificielle se trouve (en grande partie) dans la phase des attentes exagérées. De nombreuses entreprises investissent des sommes considérables avant même que l’IA n’ait prouvé son utilité à long terme, ce qui renvoie à l’essor des point-coms ou les débuts des services de diffusion en continu. L’adoption de l’IA semble urgente, mais s’agit-il d’un véritable impératif commercial ou d’une ruée motivée par des intérêts financiers?

L’investisseur Claude G. Théoret a fait part de ses inquiétudes dans sa conférence « L’IA, vraiment hot ou juste du vent? » :

  • OpenAI enregistre des pertes d’un milliard de dollars par mois, sans voie claire vers la rentabilité.
  • Les produits d’IA sont vendus à perte, ce qui contribue à une bulle spéculative.
  • La rotation des équipes de direction soulève des questions sur la stabilité.

OpenAI est la société qui injecte le plus dans le domaine, mais tous les géants de la technologie prévoient des investissements importants en 2025 : 80 milliards de dollars pour Microsoft, 75 milliards de dollars pour Google et 65 milliards de dollars pour Facebook, ce qui entraînera une grande pression pour rentabiliser ces sommes.

Cette réalité financière soulève la question suivante : nos décisions en matière d’IA sont-elles fondées sur une valeur stratégique véritable ou correspondent-elles à une pression artificielle du marché? Avant de surinvestir, les entreprises doivent tester l’IA, la peaufiner et s’assurer qu’elle répond à des besoins concrets.

Biaisée, l’IA façonne la culture

La qualité de l’IA dépend des données utilisées pour l’entraîner. Or, celles-ci sont actuellement truffées de préjugés et de contenus surutilisés. Nous risquons de lui fournir toujours les mêmes contenus au lieu de favoriser son évolution si nous ne revoyons pas l’entraînement de l’IA.

  • Comment peut-on entraîner l’intelligence artificielle à partir d’ensembles de données plus riches et plus diversifiés?
  • Comment éviter que les éléments générés par l’IA ne renforcent les idées préconçues?

L’intelligence artificielle n’est pas neutre : elle nous renvoie ce que nous lui transmettons. Les algorithmes dictent déjà la découvrabilité culturelle, orientant ce que nous voyons et entendons. Le fossé entre les offres de contenus variés et la consommation réelle se creuse déjà, et l’IA pourrait l’accentuer.

Au-delà de l’automatisation, l’IA menace la pensée critique. Risquons-nous de perdre notre indépendance d’esprit en nous appuyant trop sur ses connaissances? Le punk consistait à faire les choses différemment et à remettre en question les normes. Nous perdons de vue la valeur de la créativité si l’IA érode notre capacité à réfléchir de manière critique.

L’ère de l’uniformité, ou celle des possibilités?

Nous risquons d’entrer dans une époque où l’IA dilue la créativité au profit du contenu prévisible. Si elle n’est pas maîtrisée, l’intelligence artificielle pourrait limiter le travail créatif à un cadre optimal, rentable et facile à reproduire, au détriment de l’originalité et de la nuance.

Au lieu d’accepter passivement les dictats des algorithmes, les marques, les agences et les créatrices et créateurs doivent activement définir le rôle de l’IA. Ce n’est pas le moment d’investir sans retenue dans un seul outil, mais plutôt de tester, d’explorer et de rester critique afin de se préparer pour la prochaine étape.